Dans tous les formulaires, la question est « quelle est votre profession ». Lorsque vous retrouvez une vielle connaissance ou s’il s’agit d’un nouvelle rencontre, vous dites « tu fais quoi dans la vie ? » Sans le savoir on répète cette question, comme dans la fiche d’inscription d’un élève : profession du père – profession de la mère. C’est dire à quel point cette information est un repère dans ce schéma de société. Pourquoi ? Parce qu’une profession représente le type d’individu que l’on est dans cette société capitaliste. Je suis professeur -qualité d’individu 7/10, je suis juge – qualité d’individu 10/10, je suis aide-soignante qualité d’individu 5/10, je suis caissier qualité d’individu 4/10. Et dans le même registre: le cas du transfert d’un élève dans un autre établissement scolaire, il doit fournir obligatoirement ses bulletins de notes, c’est ce qui définira ses qualités. Le système capitaliste classifie les personnes par leur niveau d’études, afin de capitaliser leurs acquis théoriques à son profit. D’ailleurs cette norme est quelque peu ébranlée compte tenu du manque d’opportunités de postes (industrialisation/numérisation), ce qui provoque le chômage même chez les plus diplômés. C’est donc pour servir le capitalisme, que l’on qualifie la valeur d’un individu par sa profession. Telle personne est carreleur ou cuisinier pour Ce système. Nous l’avions déjà compris, le système ne nous accompagne pas dans notre accomplissement de nous-même, c’est nous qui le servons pour son accomplissement ! Petite question taquine: dans un village de pêcheurs, quel serait la question à poser pour définir le type d’individu avec lequel on converse ?
Et pourtant, il existe dans ce système une autre approche pour définir une personne. Citons un exemple connu de tous, les Rothschild. Ils sont définis par leur parcours, leur stratégie fonctionnelle familiale, leur lignée, leur capacité de réactivité, puis bien sûr par leur réussite sociale et financière. Ces critères ne sont pas ceux précédemment cités. Dans ce cas de figure, ces personnes sont évaluées sur leur intelligence et leurs talents. Mais pourquoi une telle différence ? Bien évidement l’élite du monde capitaliste ne saurait être définie sur les mêmes critères.
Remarquez, que les années passant, le système éducatif occidental sectionne les fonctions. En effet, un poste aujourd’hui, rappelons que l’on ne parle plus de métier mais de poste, voit la liste de ses tâches diminuer, et ce pour limiter le champ des possibilités d’actions de celui qui occupe le poste. Cette dichotomie des fonctions diminue donc les compétences et limite l’exercice de l’intelligence. Un architecte ne sait plus calculer. Un mécanicien ne sait plus diagnostiquer. Je souligne tout de même que la charge de travail augmente toutefois, mais sur une même tâche, ce qui produit une fatigue de l’esprit. Le résultat de cette stratégie conduit aux propos suivants: « je ne suis pas payé pour faire ce boulot » C’est la liste de tâches qu’il faut accomplir et non les fonctions de sa profession. Le statut social principalement visé par cette stratégie est celui du salarié, car il est un poste et non une personne. Nous comprenons donc que les classes moyenne et petite sont maintenues sous contrôle dans le système économique capitaliste par la limitation de leur développement intellectuel et créatif au travail.
Lorsque ma sœur Ana rencontre quelqu’un qui lui demande ce qu’elle fait dans la vie, elle se trouve embarrassée, ne pouvant pas donner de poste occupé, elle balbutie alors: « euh, je suis poète, formatrice, commerciale, brodeuse, comptable, coiffeuse, technicienne en outils numériques, conseillère en alimentation sans gluten. En effet, gênée d’énumérer autant de professions, sachant que son interlocuteur ne comprendra pas cela, elle se rattrape en demandant: « tu veux savoir où je travaille ? » Oui, la manière dont nous sommes conditionnés influence notre langage. De l’époque où l’on disait je suis restauratrice, nous disons maintenant: j’ai un restaurant à Fort de France.
Depuis fort longtemps, la qualification d’une personne se définit par sa profession. Mais il est important de rappeler qu’au moyen âge les professions étaient regroupées en guilde, en confrérie, avec des valeurs propres, un emblème, une devise, un apprentissage initiatique. Ce qui finalement définissait non pas strictement un métier mais surtout un titre. Tailleur de pierre définissait un titre dans la société, on disait: « Jacques, le tailleur de pierre » ou encore « Matthieu, le fils du tailleur de pierre », car ce titre était associé à un ordre, à des secrets techniques transmis uniquement de maitre à élève (ou de père en fils), et aussi à un certain mysticisme. Le titre définissait le groupe d’appartenance et ses principes de vie et non le poste occupé par l’individu. Toutefois les talents démarquaient l’individu au sein de son propre groupe.
En Egypte antique, le roi portant le titre de pharaon avait plusieurs fonctions. En effet, il n’exerçait pas moins de 12 fonctions, mais il n’avait qu’un seul titre, celui de pharaon. Chef d’état et chef religieux, il était un expert médecin, architecte, commandant, juge, économiste, andragogue, scientifique, philosophe, urbaniste, et autres fonctions créatrices et organisatrices. Dès son jeune âge, ses aptitudes étaient observées, sa position dans sa fratrie, le jour et les circonstance de sa naissance, son caractère et sa physionomie. D’où l’expression: « il a la carrure d’un chef, il a l’allure d’un roi ».
Le titre est donc directement lié à la position. Et nous pouvons comprendre que cette dernière ne se définit en aucun cas par la quantité d’années d’études académiques (=niveau) mais par la qualité de l’apprentissage et les aptitudes innées de l’apprenant. Outre les titres de noblesse, il existe encore de nos jours, dans nos milieux occidentalisés, des titres. Il s’agit plutôt de titres honorifiques par reconnaissance d’actes de bravoure et de bienfaisance.
La qualification de chef d’entreprise est également un titre, une position sur laquelle incombe plusieurs fonctions. Le système éducatif ne nous apprend pas à devenir chef d’entreprise. Il nous éduque pour occuper des postes. Par opposition au chef d’entreprise, il y a l’ouvrier. Ce fut à ma grande surprise de constater que dans les villages, les charpentiers, les soudeurs, les chauffeurs, les puiseurs d’eau, les lavandières, les vendeurs, les sculpteurs, les maçons, les couturiers, les charbonniers… tous ceux qui ne sont pas fonctionnaires ni commerçants, ne considèrent pas être des chefs d’entreprise proposant une prestation de service. Ils disent attendre que le « patron » se présente à leur porte/leur stand pour leur réclamer une œuvre à réaliser, une tâche à mener. Ils se qualifient donc d’ouvriers, disponibles sur la place, À telle enseigne, que selon eux c’est au « patron » de leur fournir repas, transport et matériel pour le travail à effectuer. À leurs yeux, lorsque vous demandez une réalisation ou une réparation, vous n’êtes en aucun cas leur client, vous êtes leur patron. C’est identique aux vendangeurs qui attendent la saison pour être appelés par les vignerons afin d’opérer les vendanges. Par conséquent, nous parlons ici de titre d’ouvrier. Il y a des ouvriers peu qualifiés, des ouvriers spécialisés, des ouvriers qualifiés et des ouvriers hautement qualifiés. Le titre d’ouvrier possède d’ailleurs aussi une distinction.
Pour conclure. La diaspora souffre en occident de l’avilissement de ses aptitudes entrepreneuriales ou ouvrières. Elever la jeunesse noire dans une telle structure pyramidale c’est faire d’elle un futur esclave sans nul doute. Alors que notre système sociétal considère le titre dans un schéma arborescent (et non pyramidale), nous nous épuisons dans le « métro-boulot-dodo » qui aboutit de plus en plus à des burn-out. Néanmoins la conscientisation des uns et des autres prouve que le processus de réparation est enclenché. Redéfinissons ce qui nous qualifie. Car le paradigme de l’esclavage rend inférieur et nous ne saurions resté comme tel. Nous avons été programmés pour servir le capitalisme, nous pouvons nous déprogrammer et garantir notre souveraineté. Permettons à notre jeunesse d’accéder à plusieurs apprentissages et d’acquérir ainsi de multiples compétences. Un tabouret a trois pieds pour être stable. Ainsi trois compétences requises sont une base équilibrée de progression.
Sarauniya Joan