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Retour des afro-caribéens

Une vague de retour des afro-caribéens monte. Des parents font aussi le voyage avec leurs enfants. Des organisations se construisent pour sécuriser et planifier les séjours, et aussi pour rassembler les souhaits et les attentes de tout un chacun. Il est donc important de ne pas oublier les enfants dans ces démarches. Eux aussi doivent pouvoir bénéficier de ces organisations.

En avant première, l’interview de Dah MILEKO -Maître Germany Georges-Emmanuel, une organisation francophone s’inscrivant dans cette dynamique générale de retour sur le continent mère.

Maître Georges-Emmanuel Germany, tu es aussi Dah Miléko. Peux-tu nous rappeler quel est ce titre et le lien qu’il te donne avec le Bénin ?

Dah Miléko (DM) : J’ai été intronisé prince au royaume d’Allada au Bénin, à l’issue d’un parcours initiatique qui a duré une dizaine d’années, mais… qui en fait remonte sans doute à ma naissance. Voir plus loin. Oui, mon rapport avec le Bénin est donc très profond, très ancien, très enraciné. Mais ce n’est pas simplement un rapport né dans le passé, mais bien un lien qui s’inscrit dans l’avenir. Ce lien d’affinité avec le Bénin est la mise en place de l’exécution de ma mission. Une mission dont l’objet est la reconnexion de la diaspora à la terre-mère.

Une reconnexion de la diaspora au continent-mère… Dis-nous-en plus.

D. M. : Nous avons longtemps erré jusqu’à nous perdre dans une créolité, qui ne semblait avoir pour but que de nous éloigner de notre africanité. Aujourd’hui les choses sont claires. Nous devons aller vers l’unité de tous les africains. Et c’est pourquoi je milite à une voix pour permettre à ceux qui veulent retourner en Afrique de pouvoir le réaliser dans de bonnes conditions, ainsi qu’à tous ceux qui veulent simplement découvrir l’Afrique de pouvoir également le faire. Pour cela nous devons, sur le plan matériel, avoir des lignes maritimes et aériennes directes et régulières entre les terres de déportations comme les Amériques et le continent africain. Mais cette reconnexion n’est pas uniquement matérielle. Elle est aussi spirituelle, administrative, économique et sociale, afin que se tissent des liens de solidarité, d’entraide et de fraternité entre tous les africains, sans distinction d’origines géographiques.

Depuis ton intronisation, quel rapport entretiens-tu avec le Bénin ?

D. M. : Le hasard n’existe pas. Si bien que la mission qui m’a été assignée bien avant ma naissance, m’a conduit à faire la connaissance non seulement de plusieurs rois, mais également de plusieurs ministres actuels du Bénin avec lesquels j’entretiens des rapports de profond respect et d’amitié. Je me suis rendu en Haïti à un congrès international d’avocats, et j’ai eu la chance de faire la connaissance du ministre de la justice du Bénin. J’ignorais à ce moment qui il était et il ignorait qui j’étais. C’est progressivement que j’ai appris l’immense travail de réforme que son gouvernement et lui-même avaient accompli, tant sur les institutions que sur le fonctionnement de la justice. Si bien que j’étais content d’avoir fait la rencontre d’un personnage admirable, et je n’ai pas hésité une seule seconde à lui parler de mon projet et de ma mission. Il m’a reçu au ministère de la justice et je lui ai exposé ma vision pour les nôtres. A son arrivée au pouvoir, le président Talon a décrété que les africains du continent viendraient au Bénin sans visa. Et c’était l’année de mon intronisation. Alors lorsque les médias m’ont interrogé j’ai répondu : « et nous ? » Le président Talon est également entré dans l’histoire en demandant à la France de restituer les biens volés et notamment le trône du roi Behanzin, plusieurs portes et plusieurs objets qui ont à la fois des valeurs culturelles mais aussi cultuelles et artistiques. Quand les caméras ont été braquées sur moi pour que je m’exprime suite à mon intronisation, j’ai répété « et nous ? Ne sommes-nous pas le bien le plus précieux arraché au Bénin ? Ne sommes-nous pas les africains qui méritons aussi de revenir au Bénin sans avoir à prendre de visa ? » Ces deux questions identiques donnent l’occasion au président Talon de définitivement rentrer dans l’histoire en nous octroyant, comme l’a fait le président du Ghana, la restitution de notre nationalité, par vagues importantes d’attributions. J’ai eu la chance de rencontrer le ministre de la communication Mr Orounla, porte-parole du gouvernement, qui, au départ était sceptique sur l’utilité ou l’opportunité d’une telle restitution, et a finalement compris qu’il était inadmissible que des béninois soient sans papiers et le demeurent. Cette oreille des membres du gouvernement nous l’avons donc, grâce à ces deux avocats brillants que sont Maître Orounla et Maître Kenom. Cependant, cela ne suffit pas pour avoir une décision gouvernementale. De notre côté nous devons nous mobiliser pour être nombreux à réclamer en fournissant des dossiers complets, la restitution d’une nationalité qui peut être, il faut le dire, de n’importe quel autre des pays victimes de la déportation de nos parents.

Episode de retour d’afro-américains en Afrique

Que peux-tu nous dire sur le royaume d’Allada ?

D. M. : Il est important de préciser que le royaume d’Allada règne sur des territoires béninois mais également nigériens. Il est le berceau du royaume du Bénin : de Porto Novo et d’Abomay, dont Behanzin fut l’un des rois résistants déporté en Martinique.
De plus, le grand-père de Toussaint Louverture était Prince d’Allada et Ministre de la défense. Mon cheminement révèle que je suis du royaume d’Allada et je suis donc fier d’appartenir à la cour royale du Dahomey, qui est étroitement liée à l’histoire et au peuplement d’Haïti tant sur le plan socio-ethnologique que sur le plan religieux, puisque le Bénin est le pays du vaudou comme Haïti. C’est pourquoi le nom Allada se retrouve dans les chants haïtiens qui parlent du retour vers Allada. Au Bénin lorsqu’un roi meurt, on ne dit pas qu’il est mort, on dit qu’il retourne à Allada. Le roi du royaume d’Allada, Kpodégbé Djigla (l’homme-enfant) -qui signifie la panthère a parlé, les autres animaux de la forêt se sont tus, est un fervent militant de la cause panafricaine. A souligner, qu’il est le Président du Haut Conseil des rois du Bénin. Il fut aussi un ami personnel de Mouammar Kadhafi. En effet ils étaient ensemble dans les projets de création d’une monnaie unique, d’un lancement de satellite africain et d’autres.

Hommage aux rois d’Allada

Au Bénin, quelles sont les relations entre la royauté et les politiques ?

D. M. : Dans toute l’Afrique les autorités royales sont des vestiges de la guerre que l’Europe a livrée à l’Afrique pour imposer un modèle républicain. L’objectif et la mission première étant de détruire les traditions africaines, les peuples et l’idée d’une unité africaine. Des royaumes et des peuples qui vivaient ensemble ont été dépecés. Des frontières complétement artificielles sont venues couper en deux, trois, quatre voir cinq des familles, des régions, des peuples et des royaumes. Si bien que ceux qui ont survécu ou qui se sont créés parfois à l’initiative du colonisateur, portent la trace de cette morsure du colonialisme. Toute l’énergie de la république a été mise au service des appétits prédateurs de puissances coloniales dont l’obsession était de vassaliser, de détruire et de soumettre toutes autorités africaines. Mais les républiques et les démocraties africaines n’ont pas totalement épousé les formes dictées par les puissances coloniales. Elles se sont accommodées des autorités traditionnelles et royales, dans certains pays, au point même de les respecter et de les intégrer dans leur fonctionnement. Toutefois, sur certaines portions géographiques, ces autorités étant des autorités civiles, morales et religieuses sont parfois contestées.

Tu proposes donc un retour aux sources comme tu l’as vécu toi-même, avec le projet Sankofa béninois. De quoi s’agit-il ?

D. M. : J’ai constitué le projet Sankofa béninois. Le Sankofa étant le symbole Akan de cet oiseau dont le bec tient un œuf et dont la tête regarde vers l’arrière. Il signifie : pour savoir où tu vas, regarde d’où tu viens. Nous voulons déclencher une vague de retours déjà dans les états-civils afin que chaque africain de la diaspora ait un droit au moins à retourner civilement, administrativement dans le pays de son choix. A commencer par le Bénin. C’est un moyen, c’est vrai, d’effectuer son retour sans voyager, mais doit déboucher je le souhaite pour chacun d’entre nous, au retour physique sur la terre-mère lors d’un voyage, d’une courte visite ou d’un furtif déplacement. Car poser le pied en Afrique, dès l’aéroport c’est recevoir des bénédictions. Je le répète, nous voulons déclencher une vague et cette vague ira avec les générations. Donc ce projet n’est pas à destination uniquement de ceux qui sont vivants aujourd’hui mais de ceux qui seront vivants demain, ceux qui ne sont pas encore nés. Ça ne s’arrêtera donc pas de sitôt. https://www.facebook.com/100005252926486/videos/1202522576599495/

Comment les béninois accueillent-ils cette initiative, cette volonté de retour de la diaspora ?

D. M. : D’abord, les africains du continent ignorent tout de nous et de notre existence. Ils découvrent souvent avec étonnement nos réalités. Et lorsqu’on leur explique qu’il ne faut pas nous considérer comme des blancs simplement au vu de notre pouvoir d’achat, de notre capacité à nous déplacer, eh bien progressivement ils intègrent notre africanité et nous admettent très rapidement dans leur famille, dans leur réalité, même dans leur avenir. Ils sont conscients de l’apport que nous pouvons représenter pour eux en terme économique, car très souvent nous venons de régions où le salaire minimum est dix fois supérieur au leur et cette réalité, cette distorsion économique nous obligent à considérer les choses aussi sous cet angle-là. L’Afrique n’est pas faite que de pauvres. Ceux qui appartiennent à des classes supérieures sont souvent ceux qui ont pu voyager qui connaissent notre existence, qui nous ont même parfois rencontrés en dehors du contient africain et ceux-là sont très ouverts à notre retour et à nos investissements tant personnels que matériels. Nous sommes donc un gisement de possibles investisseurs que l’Afrique est désireuse d’accueillir comme les autres. Mais avec en plus l’avantage d’un air de famille.

S’agit-il donc d’une double nationalité ?

D. M. : Demander la restitution d’une identite qu’on nous a volee il y a quatre cent ans en potentialité, c’est clairement se positionner comme africains. Le terme africain est différent du terme que l’ONU utilise pour définir la Décennie nous concernant. Elle parle de personnes d’ascendance africaine. D’autres termes nous visent lorsqu’on parle d’afro-descendant. Pour ma part, quand je regarde les chinois je ne vois pas des personnes d’ascendance chinoise ou des sinno-descendants. Quand je regarde des indiens, je ne vois pas des personnes d’ascendance indienne ou des indo-descendants. Je ne suis donc ni afro-descendant ni une personne d’ascendance africaine. Je me considère comme un africain, je suis un africain tout simplement. Et si comme moi des martiniquais, des guadeloupéens, des guyanais, des caribéens, des américains s’estiment africains : africains martiniquais, africains guadeloupéens, africains guyanais, africains américains, et bien ils s’inscrivent dans cette démarche simple qui consiste à récupérer une part de leur patrimoine.



En droit international privé, l’état des personnes et nationalité fait l’objet parfois de dispositions qui empêchent de cumuler les nationalités mais dans notre cas c’est différent. Dans la mesure où nous avons au moins une ascendance africaine, et que le crime commis par les puissances coloniales a consisté notamment, parce que c’est un crime généalogique, à nous priver du droit de connaître le pays d’origine de nos ancêtres. Les nations coloniales n’ont qu’une seule obligation sur cette question : c’est de tout faire pour faciliter notre retour administratif et civil sur l’état-civil africain. La différence entre les biens volés et nous, outre le fait que nous ne sommes pas des meubles, quoi qu’ait pu dire le législateur français au travers du code noir, la différence c’est que pour restituer les biens volés, la France a son mot à dire. Elle dit oui comme elle a un temps dit non. Par contre me concernant la France n’a rien a dire. C’est entre le Bénin et moi. Et c’est pour cette raison que c’est plus facile, et que ça doit être rendu possible.

Quel est l’intérêt pour les intéressés ? Quelles sont les perspectives, une fois la nationalité obtenue ?

D. M. : Bien-sûr ce n’est pas un patrimoine financier. C’est un ensemble de droits attachés à la nationalité. Cette citoyenneté que nous récupérons peut nous permettre c’est vrai, de faire et d’envisager des choses sous un autre angle ou pas. Mais simplement, on récupère ce qui est à nous. Et ainsi on reconstitue notre identité abîmée, dépecée, estropiée. Ainsi il ne s’agit pas pour une personne à qui l’on a coupé une jambe de lui rendre sa jambe. Mais en lui donnant une prothèse, de lui rendre la marche. Et cette prothèse ce n’est pas sa jambe, mais c’est la marche. Certains d’entre nous ont entre guillemets des origines ou des ascendants mélangés. Mais pareil pour le patrimoine que l’on récupère à l’issue d’une succession. Parce qu’on hérite de sa mère, refuserait-on l’héritage de son père et inversement ? Et bien, si l’on a un papa chinois et une maman indienne alors on est chinois et indien. On n’est pas tout l’un ou tout l’autre. On récupère les deux passeports, celui de la Chine et celui de l’Inde, tant que l’un n’exclut pas l’autre. Donc, tous ceux qui s’inscrivent dans notre démarche, auront un deuxième passeport et une deuxième carte d’identité, ce qui ne fait pas disparaître les premiers. Car l’identité est comme la culture, c’est une addition. Et une addition qui porte en elle la puissance de la multiplication.

Y a-t-il des critères de sélection pour intégrer le projet ?

D. M. : La question des tests a été posée et pratiquée au Cameroun, mais ce n’est pas celle-là dans laquelle nous nous inscrivons. Nous estimons plutôt que nous devons faire confiance aux autorités béninoises qui, dans leur clairvoyance sauront si un tri devrait être fait, trier « le bon grain de l’ivraie ». Cependant la pureté de la démarche commande que ceux qui se disent, s’estiment et se proclament africains ne s’entendent pas dire « non, non, vous n’avez pas la tête d’un africain ». C’est suffisamment sérieux pour que l’on n’ait pas à craindre un manque de sérieux de la part de ceux qui examineraient les dossiers.

Le projet Sankofa béninois est ouvert à toute la diaspora. Combien de personnes s’y sont inscrites à ce jour ?

D. M. : Nous sommes, à ce jour, deux cent à être intéressés. Mais combien seront en capacité dans le délai imparti, vu la situation de confinement, de déposer un dossier complet pour la fin du mois de mai ? Nous verrons. En tout cas, on pourra chaque année déposer des demandes mais pour cette année, l’objectif est d’en déposer au moins une centaine.

Un tel programme se pose-t-il pour tout autre pays d’Afrique ?

D. M. : L’association que je préside s’appelle Sankofa Tour. Le premier voyage que nous avons fait et qui s’inscrivait dans notre philosophie de reconnexion avec l’Afrique, ne s’est pas fait au Bénin mais en Côte-d’Ivoire. Où nous avons eu la chance d’accompagner et d’être accompagnés de frères qui se sont retrouvés et qui ont pu même bénéficier de ce qu’on appelle la cérémonie du nom. Je pense notamment à un certain Flan Gosseman. Ceci démontre que notre démarche n’est pas strictement béninoise. Notre prochain voyage sera peut-être le Cameroun ou le Sénégal ou tout autre pays d’Afrique dans lequel les conditions de voyage seront possibles. Notre souhait n’est pas de nous cantonner à l’Afrique francophone non plus. C’est la raison pour laquelle nous ne sommes pas limités, ou plutôt nous nous limitons aux frontières du continent. En fait dans l’état actuel des frontières héritées de la colonisation, je n’ai pas d’attirance particulière pour un ou un autre pays africain. Et donc je ne fais pas de différence en tant qu’africain de la diaspora entre le Bénin et le Togo, entre le Togo et le Mali, le Mali le Niger, le Nigeria le Burkina , le Cameroun ou la Côte-d’Ivoire. Ainsi le choix du Bénin est tout à fait discutable.

Voudrais-tu nous dire quelque chose de plus ?

D. M. : Oui. Lorsque le roi d’Allada, Kpodégbé a choisi mon nom, à l’époque c’était en présence du futur premier ministre de l’état de la diaspora africaine. Il est d’ailleurs l’un des artisans de mon intronisation, puisque c’est lui qui m’a emmené au royaume d’Allada. On s’était rencontré « par hasard » à Ouidah lors des évènements de commémoration de l’abolition de la traite et de l’esclavage. Sa Majesté a donc choisi de me nommer Miléko. En fon cela veut dire « nous sommes de retour !« .

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